Office National de Diffusion Artistique

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Carnet #7 - Argentine

Carnet de voyage à Buenos Aires par Vanessa Mestre, directrice du Théâtre Cinéma de Choisy-le-Roi 

« Vite-vite-Lent-lent », une séquence en 6 temps.
(rythme de base le plus utilisé par les danseurs de tango)

Culture foot
On est loin. Les 11 000 km sont un fait, un air d’Europe me convoque, la dimension des Amériques, les vestiges d’un passé colonial au cœur de quartiers emblématiques, cette capitale cosmopolite bouillonne au sein d’un automne trop chaud. 40% de la population argentine vit à Buenos Aires. Objectif : mise en lien avec le contexte, le premier contact passe inévitablement par le foot. J’apprends que le club mythique Boca Juniors soutient la cause des retraités qui n’ont plus accès à leurs droits. On est le 1er mai.

« Il faut être un vrai lâche pour ne pas défendre nos retraités ». Une démarche hors norme et atypique pour faire entendre les voix et les nécessités. La crise et la fragmentation prospèrent. Alors que peut le foot à la culture ?

Carnet #7 - Argentine

Ne pas se réduire

La loi de l’offre et de la demande règne. Le secteur public trinque : réduction des dépenses publiques, suppression des subventions, des ministères, des postes, dégradation du débat public. En contrepoint, depuis les années 2000, les assemblées citoyennes sont un héritage et portent les voix dans l’espace public. Avec Estado de Asamblea, Gabriela Golder convoque la population dans une quête d’alternatives pour mieux vivre. 

 

 

 

 

 

 

Victoria Pastrana et Nicolás Rodríguez sont des artistes issus de la communauté Amaicha del Valle de la province de Tucumán. Elle et il questionnent le geste communautaire dans l’art contemporain au centre culturel Recoleta dans une ville qui ne fait plus attention à ses origines, son patrimoine, qui grandit sous le poids de la globalisation. Ils exposent les matières premières qui bâtissent leurs maisons et leur art de vivre : tissus, briques d’adobe, ils montrent leur abri et leur fragilité, ils convoquent l’histoire des vaincus, mais aussi la richesse des peuples autochtones comme une forme de résistance à la société capitaliste qui déshumanise. Tiziano Cruz revendique le retour aux pratiques de communautés pour parler des fondamentaux – rituel et utilitaire versus commerce. La Pachamama. 

 

 

Comment accueillir en France ces propositions artistiques fortement marquées par l'histoire des peuples autochtones et  par celle des migrations européennes? J’ai posé cette question à Barbara Engelhardt, directrice du Maillon, Théâtre de Strasbourg - Scène européenne, qui explicite la notion de « transfert culturel ». « Si on utilise la notion de transfert culturel dans le contexte d’une programmation de théâtre, elle désigne moins l’adoption d’une pratique propre à une culture par une autre que le besoin d’accompagner la « rencontre » entre différentes communautés culturelles : celle qui naît d’une prise de conscience de phénomènes culturels et artistiques qui nous, publics français, nous déplacent. »

Dans le cas de cultures autochtones, ce déplacement est double. Nous devons faire comprendre à nos publics que les pratiques culturelles sur lesquelles s’appuient de tels spectacles ne font pas partie de la « culture officielle » d’un pays étranger, mais représentent soit un héritage ancestral, soit une pratique culturelle marginalisée. Il me semble indispensable dans ce cas de donner à voir le contexte de ces spectacles accueillis, en thématisant les origines, le parcours et les conditions de travail des artistes créateur·rice·s, mais aussi en livrant un aperçu de l’histoire politique et sociale de leur pays d’origine.

Les possibilités pour créer des rencontres avec le public sont nombreuses - et fortement inspirantes pour nos équipes également : des sensibilisations, conférences, programmes de salle individualisés et bords-plateaux, comme on les connaît et les pratique tous et toutes dans la mesure du possible. Mais dans le cas d’un Tiziano Cruz, ce transfert culturel est pensé et enrichi par l’engagement de l’artiste lui-même (…) Nos lieux disposent de tous les atouts pour transformer ces rencontres entre les cultures en expériences partagées. C’est donc dans ces moments qu’un « transfert culturel » prend son sens, en devenant sensible… ».

Racines et mémoire

3 mai 2025 - 10h. Ladys Gonzalez nous accueille dans sa maison, Casa Parque Audiovisual, lieu de résidence pluridisciplinaire pour artistes paraguayennes, implantée dans une réserve naturelle. Cette journée est fondamentale dans l’ancrage du séjour. Ici aussi la résistance est en action face à l’inflation non régulée, au plan systématique de démantèlement, à l’impermanence de la reconduction de soutien, à la suppression des lois de protection des populations autochtones.
Je suis extrêmement touchée par le travail audiovisuel et performatif de Masi Mamaní, issue du peuple Colla, qui travaille avec tout ce que rejette le monde occidental et capitaliste : les déchets. Elle prône une socialisation par les ordures et y exprime sa vision du futur. Survivre plutôt que mourir. Et répondre. Je pense à la façon dont l’état d’artiste s’impose dans une communauté qui pratique l’agriculture de la subsistance. 

14h - Parque de la memoria. Les voix des grands-mères de la place de mai résonnent avec « La memoria futuria ». Nous marchons et écoutons 8 récits personnels sur les 22 000 collectés pour parler des corps absents, ceux des disparu·e·s durant la dictature militaire, mis en scène par Luciana Mastromauro. Respect et gorge nouée dans ce majestueux lieu de mémoire.

 

Photo : Masi Mamani

 

Indépendance

4 mai 2025 - 10h. Planta Inclan, lieu inspirant de résidence et de diffusion dirigé par le chorégraphe Juan Onofri Barbato et l’actrice et dramaturge Elisa Carricajo. On y découvre le pouvoir de réponse du secteur indépendant avec Paraiso, création et communauté présenté par Cynthia Edul, une organisation sous forme de club, qui finance les créations et leur diffusion grâce à leurs publics qui forment une communauté contributive. Le public comme condition d’existence au sein d’une relation circulaire qui interroge les artistes, un système indépendant qui prône l’interdépendance. Participer, ne pas observer. Une incitation pour penser le futur, trouver des réponses aux crises incessantes ou comment « naviguer sur l’impossible », formule Geoliane Arab, conseillère à l’Onda.

19h - Espacio Fraga. Retour aux racines avec Adentro! de Diana Szeinblum qui décortique la danse folklorique et son appropriation par les corps de 3 interprètes. Du matériau familier aux combinaisons chorégraphiques complexes, un langage du corps qui fusionne, une danse qui nous embarque avec enthousiasme dans l’héritage et le présent.

 

Photo ⤵️ : Parque de la memoria / Luciana Mastromauro

Situation

5 mai 2025 - L’Histoire se complète autour de l’invisibilisation des personnes noires en Argentine avec Afroargentinas, les récits biographiques afro-argentins recueillis et portés à la scène par Florencia Gomes et Jesica Salinas Lamadrid. Une réponse artistique au racisme systémique, un art qui répare.
Nous découvrons 6 autres projets de spectacle vivant et d’art visuel qui convoquent l’espace public, les sites spécifiques, les théâtres, la relation au territoire et à la population. La scène artistique est particulièrement intergénérationnelle par les sujets et les interprètes qu’elle convoque. Éclectique, elle porte les grands textes comme les voix manquantes. Elle affirme les combats sans confrontation directe, elle répond, elle ne lâche rien.

Capitalisme

6 mai 2025 - A El Galpón de Guevara, nous découvrons les projets des festivals internationaux marquants de l'Amérique latine, Colombie, Pérou, Uruguay et Équateur. Avancer collectivement, comprendre les réseaux de ce côté du monde.
Gerardo Naumann nous convie pour une étape de création de La economia Argentina qui décortique le capitalisme sous forme d’histoires brèves en questionnant le rapport au travail et au temps. Comme un prolongement à ces perspectives, Lisandro Rodriguez nous ouvre les portes de son lieu de création musicale Estudio Los Vidrios et partage sa dynamique de travail avec le jeune public afin qu’il puisse rencontrer une scène alternative de proximité. Le théâtre indépendant est examiné légalement comme une entreprise détentrice d’une activité commerciale, il s’approprie cette réalité pour renverser l’imaginaire du théâtre commercial.

Grand merci aux bâtisseur·euse·s de ce repérage, à l’équipe de l’Onda, à la curatrice Cecilia Kuska, à l’équipe locale associée, à la disponibilité des artistes, auteur·rice·s, metteur·euse·s en scène et interprètes des 23 spectacles présentés et des 28 lieux indépendants pluridisciplinaires qui nous ont ouvert leurs portes. Et à environ 50 acteur·rice·s de la culture qui se sont mobilisé·e·s pour nous rencontrer et travailler collectivement.